La représentation des femmes noires en France
- figurescergy
- 21 mai 2021
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 mai 2021
Par Elie Piema, Farel El-haddaoui, Ines Bazeniar
Âgée de 43 ans et créatrice du blog blackbeautybag.com, Fatou N’DIAYE est considérée comme une partisante du combat en faveur de l’émancipation de la beauté noire en France. Egérie de l’Oréal ou d’Estée Lauder, elle lutte pour une offre plus inclusive des cosmétiques pour les personnes de couleur.

Aujourd’hui suivie par plus de 150 000 abonnés sur Instagram, Fatou est perçue comme l’une des précurseurs de l’évolution de l’offre cosmétique des produits destinés aux femmes noires en France.
Pour parler de son combat, l’influenceuse s’est rendu dans les locaux de StreetPress afin de raconter son parcours mais aussi faire part de ses attentes concernant la représentation de la femme noire dans la société d’aujourd’hui, et de demain.
Fatou, au cours de votre adolescence était-il difficile de s’accepter en tant que femme noire ?
« Oui, ça l'était. À cette époque, le modèle de beauté dominant en Occident était celui de la femme blanche. À la télévision et dans les magazines, il n'y avait pas de femmes qui me ressemblaient. Donc tu te remets en question et tu te dis que si tu n'es pas représenté, c'est que tu n’es pas assez belle ou assez bien ».
« Le comble, c'est que la plupart du temps, les seules femmes dites noires que l'on montrait étaient des femmes à la peau claire et aux cheveux bouclés. En résumé, pour qu'une femme noire soit considérée comme belle en Occident, elle devait ressembler à Beyoncé ou Rihanna et non à Lupita Nyong'o qui est une femme très mate ».
Un peu plus tard, au début des années 2000, qu’est-ce qui posait encore problème ?
« Le forum " Beauté d'Afrique" était une plateforme sur laquelle on parlait de beauté, de mode, mais aussi des différentes difficultés que les femmes noires pouvaient rencontrer dans leur vie quotidienne. Il y avait différentes problématiques, notamment la recherche de l'inclusion des femmes noires dans la société et dans la presse. Car à cette époque, la femme noire n'était pas considérée comme un modèle de beauté en Occident. Par conséquent, nous n'étions représentées nulle part et ce manque de représentation était un problème majeur ».
Avez-vous remarqué une évolution dans la perception de la femme noire, que ce soit dans les magazines, ou alors de manière plus générale dans la société d’aujourd’hui ?
« Dans le monde du cosmétique, j’ai clairement constaté une évolution. Je me souviens qu’à l’époque j’avais vraiment beaucoup de mal à trouver des produits qui pouvaient correspondre à ma teinte de peau. Aujourd’hui quand je vois que ma sœur, âgée de 22 ans, a accès à une pléthore de produits, je me dis qu’à ce niveau-là les choses ont bel et bien changé. On peut en dire autant du côté de la mode également où les femmes noires sont mieux valorisées. J’espère que cela va continuer à aller de l’avant ».
D’après vous, qu’est-ce qui fait que la situation est en train de s’améliorer ?
« Je pense que les créateurs de contenus sont les personnes qui ont fait le job. Aujourd’hui, les marques sont très attentives à ce qui se passe sur les réseaux sociaux et n’ont cessé de se nourrir et de s’éduquer à travers eux. Elles parviennent mieux à cerner ce que le public demande et adapte ainsi leurs offres ».
Que faudrait-il encore changer ?
« Pour moi, le véritable problème est l’inclusion. Tant que les personnes de couleur ne seront pas intégrées au sein des rédactions de magazines ou bien à une échelle plus générale dans la société, je considérai que les choses n’ont pas encore assez évolué. C’est bien beau de prôner la diversité, mais si tu ne donnes pas la possibilité aux gens de pouvoir faire des choix, donner leurs avis, ou de prendre des décisions, je doute que les choses puissent vraiment avancer ».
Selon vous, pourquoi est-il nécessaire de lutter pour valoriser la beauté noire ?
« À l’époque, les femmes noires n'étaient pas considérées comme un modèle de beauté en Occident. Et cela est lié à notre passé historique en tant que personnes noires, nous avons subi l'esclavage et la colonisation; processus durant lesquels les corps noirs ont été violentés et diminués. Malheureusement, tout cela a eu un impact sur la représentation de la peau noire dans la société, ce qui nous relègue automatiquement au second plan ».
Pensez-vous que lorsqu’elles envisagent une nouvelle collaboration avec une marque, imposer des limites est nécessaire ? En particulier vis à vis des discriminations qui émergent à l’heure actuelle ?
« Je trouve qu’il est surtout important d’instaurer une relation de confiance avec les marques avec qui l’on souhaite travailler. Cela se construit à l’aide de limites pour être sûr qu’un potentiel projet ne peut qu’être plus bénéfique pour sa propre personne, son combat, ses ambitions. Et surtout sa place de femme et de femme noire dans la société actuelle ».
« Si je prends mon exemple, en tant que femme noire qui prône le manque de considération au niveau du makeup et des teintes, je me souviens qu’avec l’Oréal, j’ai toute suite imposé mes limites et mes ambitions. Parce qu'il n'était pas concevable pour moi de promouvoir quelque chose si derrière mon combat n’était plus représenté. L’Oréal est l’une des premières marques avec qui j’ai travaillé. Cette collaboration pouvait m'apporter beaucoup pour ma carrière. Mais je voulais que cette opportunité contribue à avancer dans le combat de valorisation de la beauté des femmes noires ».
Vous avez commencé votre blog Black Beauty Bag en 2017. Trouvez-vous que tes engagements sont toujours bien transmis au sein des nouveaux modes de communication ?
« De façon générale, je trouve que les nouveaux modes de communications - donc les réseaux sociaux - sont des très bons moyens d’exprimer son point de vue sur n’importe quel sujet. Tout comme sa créativité, ses ambitions, son style. Le message de n’importe quel combat peut être assez bien transmis sur les réseaux sociaux si on sait bien le transmettre. »
« Je trouve que mon message de valorisation de la beauté des femmes noires est toujours bien transmis à travers mon Instagram, mais cela reste un plus pour moi. Comme je le dis souvent « google n’oublie rien» et je trouve que mon blog reste ma force. Toutes mes idées du début à maintenant se trouvent dessus. Encore en 2021, j’ai des marques qui me contact grâce à mon blog. C’est toujours le meilleur moyen de transmettre mon combat ».
Est-ce que le fait d’être devenue égérie L’Oréal et Estée Lauder a pu être un tremplin concernant la médiatisation de ton combat ?
« Ces deux marques m’avaient déjà beaucoup observé sur les réseaux sociaux et aussi à travers mon blog. Elles savaient déjà quelles ambitions j’avais, quel combat je portais. Par la suite ça m’a permis de me faire connaître auprès des autres marques et donc forcément de me donner une opportunité de faire passer mon message, de défendre mes idées, mes valeurs et de faire en sorte que beaucoup plus de marques travaillent à médiatiser ce combat. Bien sûr, c’est passer par des dialogues. Il y a eu des projets comme celui de la Pub avec l’Oréal ou encore celui dont je vous ai parlé qui était d’enrichir la gamme de teintes ».
Quel conseil pourriez-vous donner à une jeune fille ou à une femme qui a du mal à s’accepter en tant que femme noire ?
« Comme je le dis souvent, la confiance en soi ne s'acquiert pas à la naissance. Selon moi, nous sommes toutes des pages blanches sur lesquelles nos parents et la vie inscrivent des choses. Le conseil que je donnerais est donc de s'entourer de femmes inspirantes et bienveillantes qui vous ressemblent, des personnes qui vous permettront de vous accepter telles que vous êtes. Nous sommes le produit de l'environnement dans lequel on évolue ».
« Je dirais qu'il faut aussi faire attention à ce que l'on voit sur les réseaux sociaux de manière à ne pas essayer de rentrer dans les cases du conformisme imposé par la société. Il est nécessaire de prôner sa singularité, car toutes les femmes sont uniques en leur genre. Et il ne faut pas être pressé de grandir ou être envieux de sa voisine, car nous sommes toutes différentes et nous avons toutes un chemin de vie différent. Le plus important est de savoir qui l'on est et d'où l'on vient, tout en apprenant à s'aimer ».
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