Yann Arthus Bertrand, un écolo-humaniste
- figurescergy
- 23 mai 2021
- 6 min de lecture
Par Soumaya Benazzouz, Emeline Robin, Didier Bognini
Yann Arthus Bertrand est un photographe, reporter, réalisateur et écologiste français. C’est à travers ses projets documentaires qu’il incite à la prise de conscience des effets néfastes que peut avoir l’activité humaine sur l’environnement.

PARIS - « La conscience écologique est présente, mais les actes ne le sont pas », insiste l’activiste et réalisateur Yann Arthus Bertrand, 75 ans. Par conscience écologique, il fait référence à la prise de conscience de connaissances, que les activités humaines ont sur l’environnement naturel.
Avec son dernier documentaire, Legacy, Notre Héritage, sorti en 2020, il souhaite sensibiliser sur les dégâts causés par la croissance humaine.

Que pensez-vous de la prise de conscience dans les mesures prises par les gouvernements dans le monde, vis-à-vis de la question de la loi climatique ?
« J’en parle dans mon film Legacy. Je pense que la conscience est là mais que les actes ne le sont pas encore. Nous sommes prisonniers de cette croissance qui nous fait tous vivre : vous, en tant qu’étudiants, vous vivez de la croissance. Elle nous fait tous vivre : elle nous permet de payer nos études, les hôpitaux, les fonctionnaires. Tous nos salaires viennent de la croissance économique et l’arrêter est extrêmement compliqué.
Le jour où il y aura pour la Marche pour le climat le même nombre de personnes dans les rues de Paris que le jour de la victoire française de la Coupe du Monde en 2018, c’est-à-dire 12 millions de personnes, c’est à ce moment-là que les choses pourront changer ».
Que pensez-vous de la position politique de la France sur l’écologie ?
« En démocratie, je suis persuadé que le pouvoir est en bas et pas en haut. Aujourd’hui, à cause de la pandémie du COVID-19, la crise économique est une prise de poids bien lourde pour les hommes politiques. Tous les hommes politiques suivant le schéma de la croissance économique répondent à ce que le peuple souhaite : leur but est de préserver le pouvoir d’achat et de préserver les emplois. Les gens en haut essayent de contrôler la crise économique majeure qui fait que l’écologie et le climat passent après tout ça. C’est la réalité qui nous rattrape ».
« Il ne s’agit pas de se reposer sur les politiciens mais d’en être un : Les hommes politiques sont les miroirs de ce que nous sommes et sont élus par nous », dit-il avec affirmation.
« S'ils ne sont pas plus engagés dans le bien environnemental, c’est tout simplement parce que nous ne le sommes pas plus. Pour notre futur, je place tous mes espoirs dans la génération d’aujourd’hui. J’ai une très grande admiration pour les jeunes militants tels que Greta Thunberg qui, du haut de ses 18 ans, rassemble et rappelle les conditions désastreuses de notre planète aux citoyens à travers le monde ».
Le gouvernement français avait pris un panel de personnes qui ont proposé des lois en faveur de l’écologie. Cependant, ces lois n’ont pas été retenues. Pensez-vous que les lobbys et les différents groupes ont eu un poids sur les décisions finales ?
« Bien sûr. Il y a des lobbys écologistes comme des capitalistes. C’est facile de dire “on va arrêter les UV, les voitures,...”, mais c’est très difficile d’arrêter une chaîne. Ce ne sont pas que les lobbys, c’est la réalité économique qui nous a rattrapés. Bien sûr il faudrait aussi arrêter de prendre l’avion, mais on ne peut pas cesser tous les moyens de transports. C’est important de pouvoir se déplacer ».
« Je suis un écologiste qui est un peu, quelque part, contre la croissance, mais je suis aussi un enfant de cette croissance : j’ai 75 ans et je sais que j’en ai profité. Aujourd’hui, je ne sais pas comment on peut vivre sans croissance, c’est impossible. Car elle nous fait vivre, et vivre mieux, c’est vivre avec moins. C’est un effort collectif que personne n’est prêt à faire et qui doit être un choix accepté par tous, sinon ce serait le chaos total ».
Que pensez-vous de la Chine qui est un des pays les plus polluants au monde mais qui est aussi l’un des pays qui investissent le plus dans l’énergie renouvelable ?
« La Chine c’est un pays qui a le pire et le meilleur malgré le fait que ce soit un des pays les plus polluants de la terre : c’est un pays avec énormément de pollution, de panneaux solaires et d’éoliennes. Mais cela reste humain que la Chine aille se servir, surtout que c’est un pays où il y a 1 milliard d’habitants, on a besoin de beaucoup de pétrole et de bois. C’est ce qu’on fait ici, même si nous sommes beaucoup moins nombreux ».
« Par contre, depuis la parution de mon film documentaire Home en 2009, qui représente l’union et la coexistence de l’homme et de la terre, une association en Chine de 500 personnes part régulièrement passer le documentaire dans les villages et lors d'événements afin de rendre plus conscients les habitants : un effort collectif vis-à-vis de la croissance. Car l’écologie c’est avant tout le partage et la solidarité » il déclare, pragmatique.
Et comment trouvez-vous l’influence de la Chine sur le continent africain ?
« C’est difficile d’avoir une conscience écologique quand on a du mal à survivre tous les jours. Malheureusement, la croissance des Africains est différente de la nôtre. Aujourd’hui, leurs systèmes sont extrêmement corrompus. Ceux qui essaient de les changer se font assassiner. De plus, les dirigeants plus humanistes ne tiennent pas longtemps au pouvoir. En général, le président est l’homme le plus riche du pays et les citoyens n’y trouvent aucun problème. Ils considèrent que c’est la norme. Quand tu vas à l’hôpital, on n'y trouve même pas de pommades ou de pansements, tu te dis “ce n’est pas normal, il y a quelque chose de pas normal”. Ils essayent déjà davantage de survivre. Les impliquer dans la situation alarmante de notre planète alors que nous vivons dans un paradis en France serait injuste. »
Pourquoi nous retrouvons-nous dans cette situation alarmante ?
« Comme évoqué dans mon film Legacy, quand on se penche sur l'agriculture, c'est terrible ! En fait, ce sont nous, les occidentaux, qui utilisons des pesticides, qui cultivons à grande échelle en épuisant les sols de plus en plus et qui détruisons des parcelles de forêts pour planter du soja. La plupart des agriculteurs dans le monde travaillent de manière artisanale et avec des animaux et beaucoup de personnes n'ont pas d’accès à l'eau potable et à l'éducation. Ce contraste avec les sommes dépensées me dérange. De ce fait, j'ai quand même plus d’admiration pour quelqu'un comme Bill Gates qui donne 90% de sa fortune pour éradiquer des maladies que pour Elon Musk. Je pense que les personnes riches sur cette planète devraient allouer une partie de leur fortune afin d'aider les autres : ceux dans le besoin. »
« C'est un peu utopique, je le concède, mais je veux garder espoir. Sans espoir il n'y a plus rien ! » s’exclame-t-il, le sourire aux lèvres.
Pensez-vous que cette croissance pourrait s’étendre jusqu’à conquérir l’espace ?
« Je me pose beaucoup de questions là-dessus. Ça ne me passionne pas vraiment d’aller sur Mars, je trouve même ça ridicule. D'ailleurs, je me souviens d'une conférence à laquelle j’ai participé et dans laquelle un ami astrophysicien avait parlé de la conquête de Mars. Il nous a raconté comment un futur sur Mars était l'avenir et que l'humanité arriverait à conquérir la planète rouge. A un moment, il m'interpelle en disant que, contrairement à moi, il n'avait pas peur du futur. Je lui ai répondu : “Mais comment peux-tu participer à une conférence aussi brillante et dire des conneries pareilles ?" »
« Déplacer une population de 8 milliards d’habitants relèverait de l’impossible. L'espace sera une réalité pour une poignée d’élus ou milliardaires et restera un fantasme pour le commun des mortels. Les enjeux dans l'espace sont nombreux et l'humain est de plus en plus capable de voyager dans l'espace proche. Des billets sont déjà vendus pour des vols qui se passeront dans quelques années, mais ce sera réservé à une élite. »
« D’un autre côté, je trouve cela formidable le fait d'envoyer des satellites dans l'espace. Le travail de Thomas Pesquet avec la Station spatiale internationale est fantastique, mais, pour moi, ça s’arrête ici. En fait, je trouve ça un peu lunaire le fait qu'on ne connaisse même pas le fond de nos océans, que les guerres continuent et, quand je pense que mon pays est le troisième vendeur d’armes du monde, je me demande à quoi ça sert de dépenser des milliards pour aller sur Mars. C’est révoltant ! Si tous les efforts humains et financiers consentis dans la science étaient utilisés pour améliorer la condition de l'homme sur terre et devenir moins polluant, on serait dans une situation moins alarmante. »
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