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« Plus nous sommes nombreux à nous mobiliser, mieux se porteront nos enfants »

Dernière mise à jour : 4 mars 2022

Entretien avec la mère et militante Fatima Ouassak



Par Amina Goual, Imane Benabid



Avec son ouvrage, Fatima Ouassak a lancé un pavé dans la mare. Entre féminisme et antiracisme, cette militante et politologue mène un combat chevronné au prisme de la figure de la mère.


Fatima Ouassak / Crédit: Carole Lozano édition La Découverte

Figures poursuit une série d’entretiens auprès de “celles et ceux qui veulent changer le monde “. « Mon point de vue est situé, mais je veux changer le monde entier » écrit-elle dans son essai La puissance des mères, pour un nouveau sujet révolutionnaire, paru le 27 août 2020. Entre féminisme et antiracisme, c’est à Bobigny (93) que nous avons rencontré, début avril, Fatima Ouassak, mère et militante, cofondatrice du collectif Front de mères.


Cheveux noir de jais, regard perçant, Fatima Ouassak nous raconte à cœur ouvert son vécu, son parcours semé d’embûches, et les raisons pour lesquelles elle mène ces luttes. Parcours, action et mobilisation: Quelles sont ses motivations?

Impressionnante par sa verve implacable et sa détermination absolue à dire tout ce qu’elle était venue dire, sans concession aucune, c’est avec enthousiasme qu'elle répond à toutes nos questions.


Loin de l’assignation au travail affectif et domestique auquel le groupe des mères est cantonné, elle milite pour la prise de pouvoir des mères dans l'espace public. Sur tous les fronts, elle lutte également contre la « désenfantisation » des jeunes issues des quartiers populaires. Fatima Ouassak écrit à ce sujet dans son ouvrage: « Dans ce système, nos enfants sont discriminés, de nos ventres jusqu’à leur tombe ». D’après elle, quelque soit les causes défendues; la solution c’est le collectif.

« Il est urgent de se mobiliser et de ne pas rester seul passif dans son coin avec un sentiment d’impuissance », déclare-t-elle avec ténacité lors de notre entretien.




« Fille d’immigrés, toute ma vie a été ponctuée par les files d'attente devant la cité administrative pour avoir la carte de séjour »


Dans quel cadre as-tu grandi ?

« Je suis née au Maroc. J’ai grandi dans l’un des quartiers les plus populaires de Lille, dans une cité ouvrière. Fille d’immigrés, toute ma vie a été ponctuée par les files d'attente devant la cité administrative pour avoir la carte de séjour »




Tu dis dans ton livre que tu es prête à tout pour tes enfants et qu’ils ne subiront pas les injustices que tu as subies. Quelles sont ces injustices ?

« Étant descendante de l'immigration post-coloniale, j'ai grandi dans une cité ouvrière, qui a été ségréguée. Nous n'avions pas les mêmes chances que celles et ceux vivant dans les quartiers pavillonnaires. Cela a produit ce que j'appelle la réduction des champs des possibles, c'est-à-dire une réduction des possibilités, des opportunités, des bonheurs…»


« En tant que mère, j’ai vécu des injustices dans les institutions, hôpitaux, administrations, écoles. C'est le cas des violences obstétricales que j'évoque dans mon livre. C'est une expérience personnelle, mais cette manière de traiter les personnes de classe populaire est systémique ».




« Il est donc urgent de se mobiliser et de ne pas

rester seul dans son coin avec un sentiment d’impuissance »


Qu’est ce qui t’a encouragé à mener ces luttes?

« Au départ, c’est pour mes enfants - et les enfants en règle générale - que j’ai mené ces luttes. Bien que je sois militante depuis très longtemps, c'est pour eux que j'ai décidé de me battre, pour que leurs vies changent. Il s'agit d'avoir des victoires tout de suite, pour qu'ils puissent en bénéficier le plus tôt possible. Je reprends les mots de Fatiha Damiche* : « La discrimination ce n'est pas grave, mais dès lors qu'il s'agit des enfants, c'est là que nous sommes prêts à nous battre ». Le contexte politique m’encourage aussi à mener ces luttes. On assiste à une fascisation de la classe politique, avec une extrême droitisation de la société française, par exemple le duo Macron–Le Pen l'année prochaine ».


« Il est donc urgent de se mobiliser et de ne pas rester seul dans son coin avec un sentiment d’impuissance. Il faut que nous changions les choses, plus nous sommes nombreux à nous mobiliser, mieux se porteront nos enfants ».


*Précurseuse du Mouvement de l’Immigration et de la Banlieue (MIB)




Comment lutter contre ces injustices?

« Lorsque nous sommes confrontés seul à ces injustices, on coule. La manière la plus simple, et la plus évidente, pour lutter contre les injustices: c’est le collectif. Il faut établir une bonne stratégie politique pour gagner. Dans mon livre, j'essaie de montrer les quelques victoires qui ont été amenées grâce à ces stratégies politiques. Je sors de mon statut de victime, bien que je le revendique ».




Une victoire dont tu es la plus fière?

« L’exemple qui me tient particulièrement à cœur, c'est l'alternative végétarienne. Bien que cela ait pris cinq ans, nous avons remporté ce défi. Cependant, si la prochaine fois nous sommes plus nombreux et plus nombreuses, cela prendra beaucoup moins de temps ».




Plus d’égalité dans nos assiettes

Comment est né le Front de Mères?

« À l'origine, le Front de Mères est né de cette lutte au sujet de la cantine scolaire, à Bagnolet. Une expérience personnelle où ma fille s’est vue imposer de la viande dans son assiette. À partir de là, j’en ai parlé à d’autres parents, (je trouvais ça anormal que de la viande soit imposée dans l'assiette des enfants). Nous avons donc essayé de proposer une alternative végétarienne, comme cela se fait ailleurs en France. C'est grâce à cette levée de boucliers et à de multiples refus que nous avons ressenti le besoin et l’envie de s’auto-organiser, de sortir de la FCPE. Nos revendications n'avaient pas été entendues au sein de la FCPE, nous avons donc décidé de créer d’une part un collectif, et très vite après, le Front de Mères ».




À quel moment, tu t’es dit « je suis féministe », est-ce que le contexte dans lequel tu as grandi, l'éducation et les valeurs que t’ont inculquées tes parents ont joué un rôle sur cette revendication ?

« De jour comme de nuit, je ne pouvais circuler dehors comme je le voulais parce que j’étais une fille. J’ai vécu dans un espace très genré, c’est-à-dire un espace était destiné exclusivement aux filles et un autre aux garçons. Je trouvais cela contraignant et injuste ».


« Je suis issue d’une fratrie de quatre filles et quatre garçons. Mes parents n’ont jamais fait la distinction entre filles et garçons. Nous étions traités de la même manière. Il fallait réussir dans toutes les matières à l’école. Loin des clichés à la française, où les garçons sont forts en maths et les filles en français. Il était hors de question que j’aie de mauvaises notes en maths. Le contexte dans lequel j’ai grandi produit cette nécessité de réussir socialement, de réussir à l’école, d’avoir un métier et de s’en sortir ».

« Évidemment, dans ma famille, on ne savait pas ce qu’était le féminisme. L’éducation dans les familles immigrées permet naturellement d’adhérer à un féminisme. Selon moi, le féminisme se définit comme la libération, savoir prendre de l’espace, ne pas accepter d’être exclu de certains espaces politiques, économiques, sociaux…»




« Je suis prête à tout si vous touchez un cheveu de mon gosse » !


Pourquoi compares-tu la puissance des mères à celle du Dragon?

« Le dragon est vraiment un personnage que j’aime énormément. Comme beaucoup de personnes de ma génération, le manga Dragon Ball Z a bercé mon enfance.

Aujourd’hui on retrouve des dragons partout, jusqu'à récemment dans Game of Thrones. C’est un symbole qui parle à beaucoup de gens, et notamment dans les quartiers populaires. Notre culture populaire n’est pas assez mise à profit dans les luttes des quartiers populaires et des luttes anti-racistes en général »


« La "puissance des mères" peut être perçue comme une expression contradictoire. Dans l’imaginaire collectif, une mère c’est doux, gentille, elle change les couches, fait des gâteaux… Le dragon dans cette idée de puissance, je suis prête à tout si vous touchez un cheveu de mon gosse ».




Quels sont tes projets pour le Front de Mères?

« Je souhaite me concentrer particulièrement sur le Front de Mères, comme organisation politique et syndicale. Et être en capacité, si demain il y a un dispositif inégalitaire, de pouvoir bloquer les écoles, faire des grèves, occuper l’espace publique, pour résumer avoir un véritable impact. Ainsi, comme les syndicats ouvriers et travailleurs, j’aimerais que le front de mères soit en capacité d’avoir un rapport de force avec le patronat et les différentes institutions ».


« Donc si l’on fait du mal à nos enfants, nous sommes prêtes à nous battre contre ça et de manière très opérationnelle. J’espère que dans 5 ou 10 ans il y aura cette force de frappe qui nous permettra de dire: "si vous traitez mal nos enfants on est prêt à se battre" ».


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