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Le collectif féministe Stop Fisha: une alternative aux autorités numériques?

Dernière mise à jour : 25 mai 2021


Par Julie Allain, Maelle Briantais, Morgane Appere



Les comptes « Fisha » diffusent des photos et vidéos à caractère sexuel de jeunes femmes, pour la plupart, mineures, sans leur consentement. Le collectif féministe Stop Fisha s’est créé « dans l’urgence et face à un vide juridique ». Elles tirent la sonnette d’alarme face à une grande faiblesse de l’arsenal juridique pour lutter contre le cyberharcèlement et le « revenge porn ».


Shanley, la fondatrice de "stop fisha" avec une autre membre du collectif,/ Crédit: Shanley

« Les comptes Fisha c’est du slut shaming de masse », s’exclame Shanley, 22 ans, fondatrice de l’association Stop Fisha. Depuis le premier confinement, en mars 2020, des comptes Snapchat, Instagram, Telegram baptisés « comptes fisha » se sont multipliés. Des nudes de Sarah, 17 ans, ont été publiés sans son consentement. Et difficile pour les victimes de les faire retirer. « Toute seule, je ne pouvais rien faire », se souvient, triste, Sarah. « C’est à ce moment-là qu’on s’est dit qu’on devait agir », affirment Shanley et Sabrina, membres du mouvement Stop Fisha. « On mène deux types d’actions : la traque et la suppression des comptes fisha », explique Sabrina, 23 ans, la cofondatrice. « On soutient aussi les victimes, trop souvent seules et isolées face aux cyberharcèlements qu’elles subissent », ajoute Shanley



L’ampleur des comptes Fisha lors du confinement

« C’est l’activité en vogue du confinement. Malheureusement, quand les gens s’ennuient, ça les occupe beaucoup de nuire aux autres », regrette Shanley en évoquant le principe des comptes Fisha. Pendant la pandémie, la militante a vu apparaître des dizaines de comptes en moins d’une semaine, seulement dans sa ville. « J’ai paniqué pour deux comptes au début. Mais on a vite été a plus d’une centaine de comptes. Et plus les jours passaient, plus il y en avait », se souvient l’activiste. Ces comptes dits « fisha » - « affiche » en verlan - ont pour but de diffuser des photos et vidéos à caractère sexuel de jeunes femmes. Ces nudes sont souvent divulgués avec le nom, l’adresse et l’établissement de la victime.




La haine et le harcèlement en ligne

« Il y a urgence à agir », alerte Shanley. Si le confinement a alimenté ces violences en ligne, il a surtout eu un impact sur la santé mentale des victimes. Seules, confinées, et donc isolées, elles ont eu davantage de difficultés à gérer cette épreuve. Car au-delà des photos, sont publiés chaque jour des messages incitant à la diffusion de nouveaux « dossiers » : « Vous avez d’autres photos sur cette pute ? » ou « faut afficher mon ex, cette sale chienne », par exemple.


Certains nudes sont même monétisés via PayPal. D’autres sont publiés sur des sites pornographiques sans que les victimes ne soient au courant. Autant de publications répréhensibles par la loi. Certaines concernent des jeunes femmes mineures et sont considérées comme de la pédocriminalité. Par exemple, le compte fisha « les putes de Liège » a diffusé la vidéo d’un viol en réunion d’une jeune fille mineure, qui avait été droguée. Le contenu est resté disponible plus de 16 heures malgré les nombreux signalements




« C’est elle la fille des photos, c’est elle la pute qui envoie des nudes »

Sarah, 17 ans, lycéenne en région parisienne, raconte son calvaire. « Ma mère et moi sommes amies sur Snapchat. Elle a vu des photos de sa fille dénudée… Elle m’a appelé en me demandant de rentrer immédiatement à la maison ». Le cœur serré, elle raconte que son enfer a débuté par une trahison : « mon compte Snapchat a été piraté. Les photos dénudées que j’ai envoyé à mon ex-copain ont été affichées dans ma story sans que je le sache. » Publiés dans sa propre story Snapchat, les clichés sont vus par tous ses contacts. « Mon Snapchat était localisé chez ma meilleure amie… Ça m'a choqué venant d’elle, j’ai beaucoup pleuré ».


Mais, pour Sarah, le plus dur reste à venir : « je suis rentrée chez moi, je venais d’être trahie par ma meilleure amie, ma mère m’en voulait beaucoup ». Quelques heures plus tard, les photos de Sarah sont partagées à des comptes Fisha, qui s’empressent de les repartager. « À 3h du matin, j’ai été réveillé par un appel de mon meilleur ami qui m’a prévenu que mes photos circulaient sur ces fameux comptes fichas. Il me les a envoyées et ensuite il m’a bloqué », raconte Sarah, énervée. Ses camarades de classe lui reprochent d’envoyer des nudes. Mais aucun mot contre ses agresseurs. « Je me suis senti très mal et très seule. En plus de ces photos qui portent atteintes à mon intimité, tout le monde m’a tourné le dos ».


Un an après le harcèlement que Sarah a subi dans son école, elle souhaite aider le collectif Stop Fisha dans sa lutte.




Que fait la police ?

Malgré le nombre très élevé de victimes, très peu portent plainte. D’abord, peu d’entre elles savent qu’il s’agit d’un délit. Ensuite, la plupart sont encore mineures et se disent envahies par la honte, notamment vis-à-vis de leurs parents. Quand elles trouvent le courage de porter plainte, elles racontent ne pas être prises au sérieux par la police. « J’ai porté plainte en ligne, puisque c’était le confinement. Et lorsque j’ai été convoqué au commissariat, le policier qui devait s’occuper de ma plainte n’était pas là. Une policière a pris le relais et m’a directement jugé » dénonce Sarah, qui poursuit : « Je lui ai dit que je voulais appeler ma mère. Elle m’a sorti une phrase que je ne pourrai pas oublier : “quand c’est pour faire des photos dénudées tu n’as pas besoin de ta mère” ».


« J’étais très mal, j’ai été suivi dans une PMI par une conseillère familiale qui m’a donné le contact de Stop Fisha, Shanley m’a accompagné pour porter plainte, pour la troisième fois à Levallois ».

Elle nous raconte qu'une fois de plus ça s’est super mal passé, « le policier me posait des questions très déplacées sur ma sexualité et la plainte n’a pas abouti ».


Suite à toutes ces mésaventures, elle eut comme dernier recours de faire appel au procureur « j’ai fini par envoyer une lettre directement au procureur, mais pas de nouvelle jusqu’ici, si mon affaire est classée sans suite ça ne m’étonnerait même pas » rapporte-t-elle avec désarroi. Shanley confirme l’inefficacité de la police concernant le cyberharcèlement « Quand les policiers prennent les plaintes quand ils le veulent, il y a un réel “slut shaming" de leur part, souvent il demande “mais pourquoi tu as pris des nudes”, “mais c’est ton copain”, “tu as déjà eu des relations sexuelles ?”. Les victimes sont découragées et ne portent plus plainte, c’est arrivé tellement souvent qu'à la fin on passe pratiquement que par le procureur ».


Des groupes de militants sont intervenus pour lutter contre ces comptes et dénoncent la non-considération des réseaux sociaux « qui ne prennent pas en compte nos signalements, la police non plus et le contexte de la pandémie a servi de justification aux refus de dépôts de plainte ou de prise en compte des signalements des comptes fisha” selon eux ce n’était pas une priorité », explique Shanley. Le collectif Stop Fisha prend le relais des forces de l'ordre, on parle de “vide juridique”, comme l’affirme la fondatrice du collectif, « nous sommes devenues la nouvelle brigade numérique ».




Stop Fisha: la brigade de lutte contre le cyberharcèlement

Le collectif créé dans l’urgence


C’est dans l’urgence que le collectif s’est créé, La fondatrice a été avertie du phénomène par sa petite sœur, lycéenne. Elle a insisté sur le fait qu’il y a explosion du nombre de comptes Fisha : « Stop Fisha ça m’est un peu tombé dessus, je n’avais pas du tout prévu de créer ça » nous confit-elle, elle poursuit : « Vu qu’ils n’ont plus la rue pour harceler, les réseaux sociaux deviennent des outils plus puissants ».


Sur Twitter, elle a mis en avant l’ampleur que ça a pris et a lancé une alerte, « j’ai fait des appels à l’aide et pas grand monde ne réagissait. On me répétait “c’est les réseaux sociaux, c’est comme ça. Éteint ton téléphone et ça passera.” » s’indigne Shanley. La jeune étudiante a signalé les comptes et alimenté un thread sur twitter, en annonçant « si tu es victime d’un compte Fisha voilà les étapes à suivre ».

Le collectif a peu à peu avancé dans sa lutte, un grand nombre de personnes de leur côté ont signalé les comptes, ils se sont alliés à Shanley. Grâce aux réseaux sociaux et au retweet d’une grande majorité, des personnes comme Sabrina, actuellement membre du collectif, a pris part à la lutte. « Les comptes fisha je les signalais déjà de mon côté. Quand j’ai vu les tweets de Shanley qui expliquait comment lutter contre, j’ai pensé que c’était le moment opportun pour éradiquer ce problème. Je l’ai alors contacté en lui demandant si je pouvais l’aider ».




Les moyens d’action pour venir en aide aux victimes de comptes fisha

Un accompagnement auprès des victimes


Stop Fisha encourage les victimes à porter plainte : « ”On est en confinement, va te faire foutre !”,” On ne peut pas prendre ta plainte” alors nous et notre avocate avons tout digitalisé. Nous avons envoyé des plaintes directement au procureur, nous ne passons plus par la case commissariat. Envoyer directement une lettre au procureur, c’est le premier accompagnement qu’on fait » explique la fondatrice. Sarah, victime, révèle que Stop Fisha a été d’un grand soutien pour les procédures de plainte : « Après mes deux mauvaises expériences au commissariat, j’étais découragé. Stop Fisha n’a rien lâché et Shanley m’a accompagné pour une nouvelle fois porter plainte » nous raconte la jeune fille.


Ce collectif propose accompagnement et soutien pour les victimes se retrouvant isolées ; Shanley atteste : « On les rassure, on garde le contact pour s’assurer qu’elles vont bien et qu’elles ne se sentent pas seules. Une psychologue intervient dans les cas les plus extrêmes». Pour Sabrina, l’une des membres du collectif rassurer les victimes est très important : « J’apporte un soutien aux victimes, je parle aux parents et j’essaie de les rassurer » nous déclare-t-elle. « D’un point de vue psychologique, le collectif m’a aidé à surmonter tout ça, je me suis sentie écoutée et prise au sérieux » confie Sarah.




Le signalement de masse des comptes Fisha

Au-delà du soutien apporté aux victimes, le collectif agit directement à la source en faisant des raids de signalement de ces comptes Fisha « Je m’occupe de signaler tous les comptes fisha surtout auprès de nette écoute et Pharos » explique Sabrina membre au pôle signalement. Elle poursuit en racontant la difficulté des signalements :« Quand tu signales, tu penses que le compte va être supprimé, mais deux jours après il apparaît de nouveau. C’est un cercle vicieux. Ça ne s’arrête jamais, mais on est déterminé et on ne lâche pas ».




Les projets et les attentes de Stop Fisha: une alternative à la police numérique ?

Le collectif alterne présence sur les réseaux sociaux «notre page Instagram compte 16 000 abonnés, nous postons des tutos pour montrer aux victimes comment signaler les comptes sur TikTok ». Il se déploie dans la rue qui est le premier lieu de harcèlement « on a fait un collage sur le siège social de Snapchat ».


Au niveau juridique, le collectif a entrepris de nombreuses actions « avec l’aide de notre avocate, Rachel Flore, on a déposé un dossier de signalement au procureur de 200-300 pages, on est dans l’attente qu’une enquête s’ouvre. » confie Shanley.


« 1 an après tous ces événements, je suis encore en contact avec stop Fisha, je les aide sur la réalisation de leur livre, en témoignant pour le premier chapitre » révèle Sarah. Le collectif a également écrit une tribune signée par beaucoup « dont Rokhaya Diallo, on en est très fière», affirme Shanley. La fondatrice de l’asso confie son souhait de faire de la prévention dans les écoles « Il faut que l’État se bouge, et mette en place de l’éducation au numérique et au consentement dès le plus jeune âge ».




Les attentes du collectif

Stop Fisha intervient là où les pouvoirs publics manquent. Shanley dénonce un certain nombre de freins à leur action. Elle commence par évoquer le fait que les réseaux sociaux et les GAFAM ne prennent pas en compte leur signalement « pour Snapchat les signalements sont très vagues, la pédopornographie n’est catégorisée que de malveillante » déclare-t-elle, pourtant, c’est un délit puni de sept ans d’emprisonnement. Le collectif pointe du doigt l’inefficacité de Pharos, la plate-forme de signalement de contenu dangereux sur internet « ils sont seulement une vingtaine pour traiter les affaires de cyberviolence, ce manque d’effectifs montre à quel point notre combat n’est pas pris au sérieux par le gouvernement » déplore Shanley.


Stop Fisha dénonce la faiblesse de l’arsenal juridique en demandant « des mesures concrètes, fortes et urgentes ». Shanley ajoute avec détermination: « parce que les corps des femmes ne doivent pas être source d’exploitation et de divertissement à leur insu, parce qu’une photo ne doit pas prendre une vie, la honte doit changer de camp et justice doit être faite ».



En France une loi Avia dite de lutte contre les contenus haineux sur internet a été votée, elle a partiellement été jugée inconstitutionnelle, une deuxième version a été présentée et transformée en un article et ajoutée à la loi séparatisme.





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