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« Si on n'a pas d'utopie, ça sert à quoi de vivre ? »

Dernière mise à jour : 23 mai 2021


Par Safia Mandi, Yolaine Nkinsi, Nafil Ouchani



Moïra Sauvage, journaliste, essayiste spécialisée dans le droit des femmes, et présidente de multiples réseaux d'associations féministes, raconte avec passion son parcours de féministe et son combat contre l'excision à travers le réseau « Excision Parlons-en ».

Moïra Sauvage/ Crédit: capture d'écran d'une vidéo YouTube, https://youtu.be/r5sIa6i7SSg

« Bonjour ! ». C'est le sourire aux lèvres que Moïra Sauvage installée dans sa cuisine apparaît sur l'écran de la réunion Zoom. Apprêtée mais détendue, elle explique être en plein dans son rôle de grand-mère à garder ses petits-enfants, mais que c'est avec plaisir qu'elle va remplir son rôle de féministe simultanément.


Née d'un révolutionnaire Irlandais, Moïra Sauvage âgée de 68 ans a eu écho de l'importance des luttes sociales et de l'usage de la violence dans celles-ci, de la possibilité d'obtenir des droits grâce au militantisme. Ce n’est pourtant pas automatiquement que le combat féministe lui ait venu à l'esprit.



D'où vient cet intérêt pour cette lutte féministe que vous menez maintenant depuis plusieurs décennies ? Diriez-vous que c'était inné ?

« Ah la fameuse question ! C’est une succession de déclics, d'anecdotes, d'interactions qui poussent à la réflexion. L'un des premiers déclics a été provoqué par une question posée en soirée quand j'avais 18 ans. Un jeune homme m'a demandé de citer des noms de femmes philosophes afin de prouver que les femmes pouvaient être philosophes. J'étais incapable de citer ne serait-ce qu'une seule femme. Non pas parce qu'il n'y en existe pas, mais simplement parce qu'elles ne sont pas mises en avant dans les programmes scolaires. C'est là que je me suis rendu compte que quelque chose clochait. Et c'est avec ce type d'épisodes que je me suis intéressé au féminisme. Ensuite j'ai beaucoup voyagé, j'ai découvert ce qu'était la sororité, j'ai fait partie de plusieurs associations et c'est comme ça que tout a commencé ».




Dans votre livre « Guerrières ! À la rencontre du sexe fort », vous parlez de la montée des femmes dans les milieux violents tels que l'armée, les gangs etc. En quoi ce phénomène est une avancée vers l'égalité homme/femme ?

« Je milite pour qu'on ne fasse plus de différence entre les hommes et les femmes. Pour qu'on soit juste des êtres humains pouvant exprimer leurs émotions, leurs colères et utiliser une certaine violence, parce que les sexes ne décrivent pas forcément nos caractères. Que les femmes osent exprimer leurs violences, je trouve ça très bien. Ça montre qu'elles sont libres de s'exprimer sans être restreintes par leur sexe. Je tiens à préciser que je ne suis pas pour la violence, mais je ne suis pas complètement contre. Il peut y avoir une violence nécessaire. Mon père a vécu la révolution irlandaise, il a tué des anglais en 1916. Quand la violence est justifiée, par exemple pour la libération de son pays, je ne suis pas contre ».



Plus récemment, à votre combat féministe s'est ajouté la lutte contre l'excision qui n'est désormais plus simplement un problème en Afrique, au Moyen-Orient ou encore en Asie mais aussi en Occident. Vous avez d'ailleurs été présidente de l'association « Excision Parlons-en ! » afin d'agir en France.

Est-ce qu'il serait légitime de mettre en parallèle les femmes violentes de votre livre avec les femmes qui pratiquent l'excision ? Étant donné que cet acte est violent, illégal et souvent utilisé comme arme de guerre ?

« Non. Tout d'abord parce que les femmes qui pratiquent l'excision ne considèrent pas leur acte comme une violence. L'excision n'est pas encore réellement considérée comme inégale dans plusieurs pays d'Afrique mais aussi d'Asie. La différence entre elles et les femmes dans les gangs par exemple, c'est qu'elles ne se rebellent contre rien. Au contraire, elles ont le poids de la tradition, des coutumes sur leurs dos et ne font que de les perpétrer. Alors qu'une femme qui devient membre d'un gang est totalement consciente de ce qu'elle fait et des conséquences ».




Quelles sont les principales actions que le réseau Excision parlons-en mène?

Chaque année on crée des évènements à des endroits différents, comme la journée du 6 février qui est la journée internationale contre les mutilations sexuelles féminines [...] On a pu faire des formations pour les professionnels tels que les médecins, le personnel de l’éducation nationale, la police, les éducateurs. On a également mené des campagnes dans les écoles mais malheureusement, un jour, la prof n’avait pas pensé à séparer les filles des garçons. Les garçons faisaient semblant de regarder leur téléphone, quant aux filles, elles avaient l’air très intéressées mais n’ont pas pris la parole.

Quel a été le plus dur dans votre combat ?

« Sûrement le fait de voir que dans les combats de certaines associations on réclame encore ce que l’on réclamait dans les années 70. On m’aurait dit quand j’avais 25 ans qu’à mes 65 ans ça serait encore les mêmes combats pour l’égalité professionnelle, pour les viols… C’est un peu désespérant ».




Est-ce que se battre contre l’excision revient à se battre contre des mentalités conservatrices ?

« Oui ! On parle souvent de l’Afrique mais il y a aussi les mutilations génitales en Indonésie. Il y a quand même le poids en Indonésie de la religion. C’est assez exaspérant parce que la religion musulmane ne prescrit absolument pas d’exciser les filles. Donc il y a le poids des fondamentalistes. Mais je ne dirais pas que c’est du conservatisme, le progressisme est difficilement compris. Cela me fait penser à une anecdote que m’a raconté un monsieur d’origine Mauritanienne qui milite dans une des associations de notre réseau. Il retourne énormément en Mauritanie, et il m’a raconté qu’un jour il est allé dans un village et a essayé de parler aux responsables de l’excision. Ces hommes répondaient qu’ils ne voulaient pas du progrès. Il s’est alors penché sur les téléphones des hommes du village, et leur a dit : "vous n’aimez pas le progrès ? Alors je peux jeter vos téléphones à la poubelle ? De même pour l’électricité !" ».




Arrive-t-il encore que certains comparent la circoncision à l’excision ?

« Alors oui, ça nous arrive ! Bien évidemment nous sommes contre toute mutilation. Ceci dit, les répercussions ne sont pas les mêmes. Je me souviens d’une conférence d’une association qui citait une étude et qui disait que 30% des hommes circoncis ressentaient moins de sensations au cours de leur vie, mais contrairement aux femmes on ne retrouve pas de gros risques. Il n’y a pas de risque à l’accouchement, il n’y a pas d’infection. Toute excision est différente, on ne peut pas généraliser, tout dépend de comment l’excision est pratiquée et de sa cicatrisation ».




Quelles sont les précautions mises en place pour les femmes qui font confiance à votre réseau ?

« Située en Seine-Saint-Denis, on a un médecin qui s'appelle Rada et qui a fondé une maison qui s'appelle La maison des femmes. Elle faisait de la reconstruction sur son hôpital. Donc il y a des groupes de parole et puis on propose aux femmes de se faire réparer. Mais ce n'est pas obligatoire ».




Pensez-vous que le nombre de femmes excisées va encore s’accroître ?

« Il a baissé vu que les Nations Unies ont condamné l'excision. La plupart des gouvernements la condamnent seulement. En Guinée il y a 90 % des femmes qui sont toujours excisées. La Guinée a fini par dire non à l’excision et qu’ils allaient tout faire pour empêcher l'excision mais ils n'y arrivent pas. Parce qu'effectivement, changer les mentalités, c'est dur. Ceci dit, j'ai lu récemment que les chiffres avaient baissé. Il y a 35 % des filles excisées entre 14 et 19 ans dans le monde. Alors qu’avant 45 % étaient concernées. Mais avec la pandémie, les filles comme les garçons restent beaucoup plus à la maison et les portes des maisons sont fermées donc l’excision peut se passer plus facilement. Donc je pense que les chiffres vont remonter pour l'instant ».




Comment lutter contre une éventuelle augmentation des femmes excisées?

« Continuer ce qu'on fait, continuer la sensibilisation, et l'information. L'information, c'est important. Je me souviens d'un petit film, ou une femme de l’Afrique de l’Est qui vivait à Londres luttait contre les mutilations sexuelles. Cette femme avait fait un entrejambe en pâte à modeler et elle montrait aux hommes comment se déroulait l’excision. Elle coupait un peu le clitoris, elle écartait les grandes lèvres et soudainement les hommes mettaient leurs mains devant leurs yeux et ne voulaient pas voir ce qu'il se passait. Donc je pense que ces hommes-là ne le feront pas à leur fille parce qu'ils ont été sensibilisés ».




Selon vous, quelle serait la meilleure solution pour stopper l’augmentation des excisions ?

« Les gouvernements devraient s'impliquer plus parce qu’ils se contentent de mettre des panneaux alors que les associations sont toujours sur le terrain, c’est leur boulot d'aller dans les villages, de parler aux femmes et d’expliquer aux hommes. Une de mes phrases préférées est "quand on veut, on peut". Mais visiblement les gouvernements ne le veulent pas assez ».




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